Journal de bord #16

C’est sur scène que Jimi Hendrix cassait ses guitares !

« Dernière semaine de course, les Açores dans le sillage, nous sommes sur la latitude du Cap Finisterre, de retour en terrain connu, quasiment dans notre jardin.

Et ce jardin-là, nous savons qu’il ne faut pas le sous-estimer, et même le prendre avec grand respect. Avril est peut-être le début du printemps, il n’empêche que les températures sont encore froides, et les dépressions sur l’Atlantique bien présentes. Le bouquet final, c’est souvent la dernière semaine, et nous n’y échapperons pas.

Après avoir passé l’équateur et l’anticyclone des Açores, nous espérions attraper une première dépression pour nous propulser jusqu’aux Açores, puis sur la pointe Bretonne. L’Esprit d’Equipe et toujours en bonne position, Translated 9 est revenu dans le match après leur option ouest, nous sommes plus au Nord et plus à l’Est qu’eux, soit entre eux et l’objectif, nous sommes donc en position favorable.

Alors nous savons qu’il faut mettre à exécution le plan défini au départ de Punta : on va vite, on va vite, on va vite, et on accélère à la fin. Le fichier météo tombe : la dépression arrive, c’est l’heure de pousser. Nous sommes sous spi médium, le runner, celui qui nous aide à descendre dans le vent. Le vent monte, graduellement, nous passons sous spi lourd et avalons les milles. Le vent monte encore, c’est l’heure du Yankee S, une voile que nous avons dessiné pour ce tour du monde, destinée à être tangonnée. C’est une voile un peu creuse, légère car dans une sorte de toile à spi « costaude ». Elle peut encaisser beaucoup et nous a bien rendu service sur ce tour du monde. Seulement nous avons reçu nos voiles très peu de temps avant le départ, ce qui ne nous a pas permis de les utiliser dans toutes les conditions. Après quelques utilisations, nous nous apercevons que les mousquetons sont un peu trop légers, et que cette voile est fragile lors des empannages, mais nous lui trouvons aussi des aspects positifs que nous ne lui avions pas demandé… Bref, nous aimons beaucoup cette voile, elle est bien pratique.

Le bateau qui gagnera ce tour du monde sera celui qui arrivera à bon port, en ayant trouvé le bon équilibre, entre tiré sur le matériel et l’équipage, et les préserver. Soit être sur le frein et l’accélérateur en même temps.

 

Ce soir-là, je fais un point météo avec Doule notre tacticien, afin d’élaborer le scénario de la nuit, et anticiper la manœuvre. Le vent va monter et refuser, nous devrons donc détangonner ce Yankee, l’empanner, et partir au vent de travers, reaching. Seulement quelle sera sa limite de vent ? Il n’est plus question de préserver cette voile, c’est la dernière ligne droite, il faut tout donner. Pour finir de me convaincre, Doule à cette phrase magique « C’est sur scène que Jimi Hendrix cassait ses guitares, pas ailleurs »

Il fait nuit, le ciel est bouché, un grain arrive, le vent monte et, dans le grain, le vent refuse. Nous empannons le Yankee, manœuvre délicate qui se passe bien. Je me crois sorti d’affaire. Sauf qu’un mousqueton a lâché, alors nous décidons de l’affaler pour le remettre et renvoyer. La mer est formée, il y a déjà un bon 4 mètres de creux. Et au moment où ils choquent la drisse, les mousquetons cèdent tous, un à un. A la barre, je perds complètement le contrôle de l’étrave du bateau qui part au lof, finissant d’achever la voile, qui se transforme en une sorte de spi asymétrique. Et comme le dit mon ami Louis H : « leçon n°1 : le spi n’est pas une voile de près ! »  Voilà comment perdre une voile à l’eau en quelques secondes… Les gars de l’avant arrive après une longue bataille à la ramener sur le pont, nous renvoyons un yankee 3, et attaquons la dépression.  Au matin, les conditions sont sérieuses, un vent établi à 40 knt avec des rafales régulières à 55knt, et 6m de vagues. Rien que le VI ne puisse pas endurer, mais on sent que ce n’est pas comme d’habitude. Nous sommes fatigués. Tom, Kai et moi avons fait tout le tour du monde, et là, nous le sentons. Les corps font mal, il est de plus en plus difficile de dormir, la gestion du stress est aussi altérée. Mais c’est là qu’il ne faut rien lâcher, car le VI lui, est en pleine forme. Grand-Voile affalée, Artimon haut (l’avantage des ketch) il dévale et engrange les miles.

Une vague cependant sera plus forte que nous : alors que je suis à la barre, une première vague me prend de court et me fait perdre en vitesse. La suivante sortira de nulle part, à une période jamais rencontrée, très haute, et avec une base étroite, sans pente pour partir avec elle. Une vraie méchante, je ne peux hélas rien faire. Heureusement que mon baudrier est frappé au bateau : la vague couchera Pen-Duick VI, je me retrouve pendue dans le baudrier avec des milliers de litres d’eau sur la pomme et cramponnée à la barre. Heureusement les équipiers de quart sont sous la casquette. Difficile de vous décrire ce moment, mais visualisez Pen-Duick VI le mat à l’horizontal et le pont à 90°, c’est l’angle minimum que nous avons eu… Les barres de flèches ne devaient pas être loin de l’eau. Le bateau se redresse et nous repartons, le VI lui, n’a rien senti. En revanche à l’intérieur c’est un carnage : le moindre objet c’est transformé en projectile, avec au milieu de tout ça, mes équipiers. Pour eux le temps s’est arrêté, ils se sont tous écrasés contre les parois, sans avoir eu le temps de s’accrocher. Un départ au lof, on le sent venir. Pas une vague. C’est d’une violence inouïe, type plaquage en règle par Antoine Dupond. Le bordé tribord est une scène de crime : en cause une bouteille de sirop et un pot de confiture qui ont éclaté du rouge partout. Mais pas de casse majeur et tout le monde va bien, juste bien sonné.

Nous continuons d’attaquer. A la vacation de 19h, nous avons augmenté notre avance sur l’Esprit d’Equipe. La douche froide vient de Translated 9 : nos meilleurs ennemis doivent se dérouter sur Madère, le bateau se délamine à nouveau, des seaux d’eau rentrent par l’étrave. Cette nouvelle nous affecte, nos relations étant très proches avec l’équipage du bateau italien. Ils ont travaillé si dur depuis le début de ce tour, leur fatigue est grande, nous sommes désolés, tristes de les voir quitter ainsi la course. Nous avons gagné des amis, mais nous restons sur notre faim, l’un voulant battre l’autre. Dans ma tête, je me dis alors que nous pouvons peut-être un peu lever le pied, nous permettre de tirer un peu moins sur la machine. Seulement, une nouvelle course commence : celle contre l’anticyclone des Açores qui a la bonne idée de remonter, entrainant avec lui les zones sans vent !  Arf… alors on pousse, passons les fronts et, dans les jours à venir, nous verrons si nous arrivons à passer… Ou pas.

En tout cas pour la première fois, j’avoue un certain soulagement à l’idée d’arriver, je crois que je suis physiquement, émotionnellement, nerveusement épuisée. Il y a encore de la ressource, mais Pen-Duick VI est clairement en meilleur forme que moi ! Heureusement que la majorité de l’équipage a été remplacé à Punta Del Este, eux sont en pleine forme et assurent sur le pont.

Il est l’heure de puiser dans les ressources et de profiter de ces derniers jours en mer, nous avons encore eu de la chance de voir ce que peu de gens peuvent voir. A la Pachamama… »

 

Marie

Suivez Marie et l’équipage du Pen Duick VI sur la carto : https://oceangloberace.com/fr/livetracker/


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