Message de Marie
26 mars 2024
À bord de Pen Duick VI
Ocean Globe Race : étape 4
03°17 S
30°51 W
« Être Merriens à l’équateur.
Peut-être que ce qui va me manquer le plus une fois arrivée à terre, est de vivre au rythme de la Terre. Si seulement nous pouvions vous montrer avec réalisme ce que nos yeux ont la chance de voir… Malgré l’évolution des caméras, la réalité est bien loin de l’image rapportée. Aucune optique ne peut retranscrire avec fidélité la lumière, l’immensité, les odeurs, l’atmosphère… En fonction des endroits de la planète, je préfère le jour ou la nuit. À terre, je préfère vivre la nuit, où je suis beaucoup plus créative. En mer, c’est un peu différent, la journée est moins stressante mais je profite quand même de la nuit pour écrire et monter nos vidéos hebdomadaires.
La nuit, il nous est beaucoup plus difficile d’appréhender les grains, de les voir se former, savoir s’ils sont annonciateurs de vent ou de pluie, ou encore d’anticiper les manœuvres. Dès que je dois prendre la décision d’envoyer mon équipage sur le pont, le facteur sécurité est dans ma tête : une manœuvre ratée ou un homme à la mer sont des situations bien plus difficiles à gérer de nuit que de jour.
Les nuits du Sud étaient courtes, en moyenne 6 heures, cela écourtait donc ma période de stress. Les nuits étaient surtout très lumineuses, même en l’absence de lune.
Dans l’Atlantique Sud, surtout dans le Nord de cette zone, la chaleur me fait préférer la nuit. Si le froid, ou pire, l’humidité sont pénibles, nous pouvons nous adapter et nous couvrir pour lutter contre. En revanche, nous ne pouvons que subir la chaleur.
Aux latitudes proche équateur, le soleil est de plomb, la coque en aluminium noire de Pen-Duick VI se transforme en fournaise. Si le vent n’est pas trop fort et que le bateau ne gite pas trop, nous pouvons ouvrir les hublots, le fantasme étant d’ouvrir le capot de la soute à voile, tout à l’avant, histoire de créer le plus de courants d’air possible. Mais ce n’est pas tous les jours possible et même comme ça, le VI est un véritable sauna. Si comme Anne et moi, vous avez les bannettes au vent (côté soleil pendant les 3/4 de la journée) et en hauteur (l’air chaud monte), il est alors impossible d’y dormir de jour, malgré les petits ventilateurs individuels. Le matelas est brûlant, l’oreiller moite, on y transpire allongés : un enfer.
J’ai beau être à moitié créole, j’aime l’hiver, le froid, la pluie, la Bretagne et l’Ecosse, le vent. De créole j’ai assurément le sang chaud et l’amour du rhum, mais clairement pas de prédisposition pour endurer la chaleur.
Nous nous reposons très mal, nous réveillant en sueur. Heureusement que nous avons toujours un peu de vent et si par bonheur il y a un peu d’ombre sur le pont, l’endroit devient l’objet de toutes les convoitises. Pour ma part je privilégie la soute à voile : si le capot de la soute est ouvert, les spis sont les meilleurs matelas.
La journée est chaude, la nuit en revanche est un bonheur.
Le spectacle commence au coucher du soleil, toujours sur notre bâbord. En général, tout l’équipage est sur le pont, profitant ensemble des premiers signes d’une fraîcheur toute relative, mais surtout de lumières à chaque fois différentes, certaines fois surprenantes. Nous sommes proche de l’équateur, et si la lumière est plate voire brutale le jour, les nuances de bleu et de rose au coucher du soleil rencontrent le bleu de l’océan, un bleu très chaud, alors que dans le Grand Sud, la mer est plutôt grise.
Nous ne sommes jamais déçus, tous les soirs, la représentation commence à l’heure et est un succès.
Viennent les premières étoiles, Sirius et Canopus, les planètes Jupiter et Uranus, puis les constellations. Orion et la Grande Ourse bien sûr, mais aussi le Lion, le Scorpion, le Cocher, la Croix Du Sud, le Sagittaire, les Pléiades, le Taureau, Éridan, le Centaure, l’Hydre femelle… Et le ciel tourne, de notre tribord au bâbord… Nous en voyons se coucher, nous en voyons se lever.
La lune au fil des soirs grandit, elle sera bientôt pleine. D’un côté, c’est agréable car elle nous éclaire presque comme en plein jour, d’une lumière blanche légèrement argentée. Nous pouvons voir nos voiles ce qui nous aide à mieux barrer, et aussi voir reflet de la lune sur l’eau. Le regarder vous met dans un état totalement hypnotique, votre regard pouvant se fixer pendant des heures. Rajoutez à ça « Shine on you Crazy Diamond » des Pink Floyd et la… PNC aux portes, armement des toboggans, décollage.
D’un autre, nous sommes aussi contents quand elle se couche, cela nous permet de mieux voir les étoiles. Je passe le paragraphe sur les étoiles filantes, si longues, vous imaginerez…
Contrairement au Sud, ici les nuits sont longues.
Vient l’aurore… Toujours sur notre tribord, les premières lumières arrivent. Par petites touches le ciel devient d’un bleu de plus en plus lumineux, les étoiles une à une s’éteignent. Ce que je préfère, m’asseoir au vent et regarder les nuages. Ce matin, il y a beaucoup d’activité dans le ciel, avec de petits cumulus tout autour de nous. Pas de grains en vue, mais des nuages avec des altitudes différentes. Les vents sont plus forts en altitude alors les nuages évoluent à vue d’œil et bourgeonnent, vous donnant l’impression de voir un timelapse en temps réel. La température commence à monter, les premiers rayons du soleil frappent le haut des nuages, d’abord rose pâle, puis d’un rose de plus en plus soutenu, enfin rose orange qui devient très orange, jaune, et plus le soleil se lève, plus le nuage devient blanc.
Tous les jours ce sera le même scénario, jusqu’à ce que nous soyons dans le Sud de l’Anticyclone des Açores, et donc dans l’hémisphère Nord, où le spectacle sera joué par la même troupe, mais avec une nouvelle adaptation.
Lumières différentes, atmosphère différente, souvenirs différents.
En mer nous savons tout le temps où est le soleil et quand est sa méridienne, quelles sont les étoiles que nous pourrons voir, sous quelle latitude – longitude nous sommes. Avant de partir de Punta Del Este, mes proches à qui je disais être un peu terrifiée à l’idée de rentrer me disaient qu’il est temps de revenir dans le monde réel. Seulement le monde réel est là, sous mes yeux, tous les jours. Il est bien plus réel que le monde des terriens. Jacques Rougerie l’appelle le monde des Merriens.
Les terriens ont inventé une autre réalité, une grande pièce de théâtre déconnectée de la Terre, qu’il est bon d’être Merrien…Il va vite falloir recréer un projet pour repartir.
A la Pachamama
Marie »
Suivez Marie et l’équipage du Pen Duick VI sur la carto : https://oceangloberace.com/fr/livetracker/